| 
                 
                  |  |  |  |   
                  |  |  |  |   
                  |  | Les nouveaux 
                      choix des femmes  |  |    Baisse 
                spectaculaire de la fécondité. Plus instruites, 
                plus indépendantes, les Maghrébines ont désormais 
                d'autres priorités que de fonder une famille nombreuse 
               Les 
                femmes du Maghréb font de moins en moins de bébés. 
                Au point qu'aujourd'hui elles ont pratiquement rejoint le niveau 
                européen. "Le Maghréb est passé, en 
                trente ans, de 7,5 à un peu plus de 2 enfants par femme, 
                ce qui représente une évolution au moins aussi rapide 
                que la Chine", souligne Jacques Vallin, directeur de recherche 
                à l'Institut national d'études démographiques 
                (Ined) et coauteur, avec Zahia Ouadah-Bedidi, d'une étude 
                publiée en juillet dernier dans la revue de l'institut, 
                Population et sociétés . Le Maghréb n'a mis 
                en réalité que trois petites décennies pour 
                parcourir le même chemin que la France en deux siècles. 
                En Tunisie - le premier des trois pays à avoir amorcé 
                le virage - la fécondité n'était plus que 
                de 2,2 enfants par femme en 1998, soit pratiquement au seuil de 
                remplacement. Au Maroc en 1996 et en Algérie en 1997, elle 
                était de 3,1. En supposant que le mouvement se soit poursuivi 
                au même rythme, la Tunisie devrait, pour l'an 2000, être 
                à 2 enfants par femme, l'Algérie à 2,3 et 
                le Maroc à 2,5. Avec, dans ce dernier pays, une très 
                grande différence entre les citadines, dont la fécondité 
                rejoint celle de la Tunisie, et les femmes de la campagne, qui 
                ont encore un peu plus de 4 enfants en moyenne. Le recul de l'âge du mariage
 
                 
                  |  | Comment 
                      en est-on arrivé là, et si vite?  Le 
                      recul de l'âge du mariage apparaît comme un 
                      phénomène majeur", soulignent les chercheurs 
                      de l'Ined. Un changement de comportement d'autant plus déterminant 
                      qu'il s'agit de sociétés où la procréation 
                      n'est pas concevable hors mariage.  En 
                      Tunisie, l'âge du mariage des femmes est passé 
                      de 19 ans en 1956 à 27,8 ans aujourd'hui; au Maroc, 
                      de 16 ans en 1960 à 26 ans en 1995; en Algérie, 
                      de 18 ans en 1966 à 27,6 ans en 1998. "En Tunisie, 
                      ajoute Zahia Ouadah-Bedidi, plus de la moitié des 
                      femmes de 25 à 29 ans ne sont pas mariées, 
                      et on approche de ce taux dans les deux autres pays."  
                      Il s'agit là, probablement, de l'une des mutations 
                      socioculturelles les plus importantes de ces dernières 
                      années. |  Widad 
                vient de terminer sa médecine. A 25 ans, cette jeune Algérienne 
                issue d'un milieu modeste ne compte pas s'arrêter en si 
                bon chemin. "Maintenant, dit-elle, je vais m'inscrire en 
                gynécologie. Et mon fiancé, qui a terminé 
                lui aussi cette année, en ophtalmologie." Pas question 
                de se marier avant d'avoir terminé ses études. "Le 
                mari, ajoute-t-elle, pourra toujours partir un jour, mais mes 
                diplômes et mon travail, personne ne pourra me les enlever. 
                C'est ça qui m'aidera dans la vie, en cas de coup dur." 
                Le fiancé acquiesce...  A 
                33 ans, Souad, elle, n'a pas fait le choix du célibat. 
                Comptable dans une entreprise publique algérienne, elle 
                avait opté pour un cursus universitaire beaucoup moins 
                long, afin d'avoir le plus vite possible une activité salariée. 
                "Jusqu'à récemment, dit-elle, je ne pensais 
                pas du tout au mariage. J'ai commencé à y penser 
                lorsque j'ai rencontré mon fiancé, il y a deux ans. 
                Mais nous n'avons pas de logement et il n'est pas question pour 
                nous d'habiter avec sa famille ou la mienne." Donc ils attendent 
                que la Caisse d'épargne, qui fait également de la 
                promotion immobilière et où ils ont déposé 
                une demande, leur fournisse un appartement. "Nous ne sommes 
                pas exigeants: le plus petit sera le bienvenu pourvu que nous 
                soyons seuls." Une exigence nouvelle de qualité de vie
 Le 
                recul de l'âge du mariage est très directement lié 
                à l'amélioration du niveau d'instruction des femmes. 
                Pour Aziz Ajbilou, professeur à l'Institut national de 
                statistique et d'économie appliquée (Insea), à 
                Rabat, c'est même un facteur essentiel, car l'instruction 
                modifie les aspirations des femmes. Elles souhaitent alors, souvent, 
                exercer une profession, leur conception du couple et de la famille 
                change. Le rapport de l'Ined souligne ainsi qu'en Algérie, 
                en 1992, les femmes ayant atteint le niveau secondaire se mariaient 
                environ sept ans plus tard que les analphabètes. Plus instruites 
                et plus indépendantes, les femmes veulent un "bon 
                mariage", et surtout choisir leur conjoint. Quitte à 
                retarder l'union.
 
                 
                  |  | Ce 
                      n'est pas un hasard si c'est en Tunisie que la fécondité 
                      a d'abord baissé. C'est en effet le pays qui a, le 
                      premier, choisi de conduire une politique volontariste en 
                      faveur de la scolarisation des femmes, de leur accès 
                      à l'emploi et de l'amélioration de leur statut 
                      dans la société. Tout en opérant, parallèlement, 
                      une mutation du droit de la famille grâce à 
                      l'adoption, dès 1956, du Code du statut personnel 
                      (voir l'article ).  Même 
                      si le droit n'y a pas évolué de la même 
                      manière, l'Algérie et le Maroc ont suivi le 
                      mouvement. L'Algérie de Houari Boumediene a généralisé 
                      la scolarisation. Les progrès ont été 
                      plus lents au Maroc, où plus qu'ailleurs les différences 
                      demeurent grandes entre les villes et les zones rurales. 
                       Dans 
                      les trois pays, les femmes sont aujourd'hui nombreuses à 
                      avoir une activité professionnelle, pas toujours 
                      d'ailleurs par ce qu'elles l'ont souhaité, mais souvent 
                      pour des raisons économiques. |   
                
                  Mariées 
                plus tard, les femmes sont en outre de plus en plus nombreuses 
                à utiliser un moyen contraceptif. "Si 
                le retard du mariage a été, dans les trois pays, 
                le facteur premier de la baisse de la fécondité, 
                soulignent les chercheurs de l'Ined, il n'aurait évidemment 
                pas suffi à faire tomber celle-ci aux niveaux très 
                bas auxquels elle est parvenue aujourd'hui sans une maîtrise 
                de la fécondité dans le mariage." 
                    | Outre 
                        l'accès à l'instruction et les changements 
                        de mentalité qu'il induit, d'autres facteurs moins 
                        positifs expliquent que les Maghrébines - et les 
                        Maghrébins - se marient de plus en plus tard: la 
                        montée du chômage des jeunes (26% pour les 
                        25-34 ans au Maroc, pour un chômage global de 17%, 
                        selon les statistiques nationales) et la crise du logement. 
                         La 
                        pénurie d'appartements pour les jeunes couples, 
                        particulièrement aiguë en Algérie, 
                        est également une réalité au Maroc, 
                        où le taux d'urbanisation est très important.   |  |  La contraception 
                ne cesse d'augmenter 
                 
                  | La 
                      contraception n'est pas interdite par la religion islamique, 
                      de ce point de vue plus ouverte que la catholique. Le azel 
                      - coït interrompu - est mentionné dans le Coran 
                      comme une pratique licite. Mais il est vrai que le discours 
                      des imams est, lui, plutôt conservateur. Il a donc 
                      fallu, là aussi, que les choses bougent. Et, une 
                      fois encore, les Tunisiennes ont été les pionnières. 
                       Certes, 
                      le Maroc et la Tunisie mettent officiellement en place la 
                      même année, en 1966, une politique de planning 
                      familial. Mais, au Maroc, elle n'existera pendant longtemps 
                      que sur le papier, alors qu'en Tunisie l'impulsion donnée 
                      par les autorités politiques débouche sur 
                      un véritable programme national de limitation des 
                      naissances.  Le 
                      développement de la contraception ne commencera en 
                      réalité qu'un peu plus tard au Maroc, grâce 
                      à l'activisme des associations féminines. 
                      L'Algérie des années 70 est opposée 
                      à une politique visant à réduire les 
                      naissances, et les Algériennes sont, au contraire, 
                      invitées à faire des enfants.  Un 
                      thème commun à la Chine et à l'Algérie 
                      lors de la conférence des pays non alignés 
                      de 1974. Toutefois, même alors, il est possible de 
                      se procurer la pilule ou de se faire poser un stérilet 
                      dans les centres de la Protection maternelle et infantile. 
                      Dans les années 80, le discours officiel évolue. 
                      On parle non plus d'"investissement démographique", 
                      mais de "programme de contrôle de l'accroissement 
                      démographique". |  
                 
                  |  
                      Aujourd'hui, 
                        selon les deux chercheurs de l'Ined, la contraception 
                        aurait déjà réduit de près 
                        de moitié la fécondité dans le mariage 
                        et la population de femmes maghrébines utilisant 
                        un moyen contraceptif ne cesse d'augmenter. En Tunisie, 
                        elle est passée de 5% à la fin des années 
                        60 à 60% en 1995. En Algérie, elle était 
                        également de 57% en 1995, et 62% aujourd'hui, au 
                        lieu de 8% en 1970.  Au 
                        Maroc, désormais, 59% des femmes mariées 
                        utilisent un moyen contraceptif, alors qu'elles n'étaient 
                        que 5% à la fin des années 60. Ouvrière 
                        à Casablanca, Amina a 26 ans. Elle vit dans une 
                        seule pièce avec son mari mécanicien et 
                        le jeune couple n'a pas encore d'enfants. "Personne 
                        ne comprend que je ne sois toujours pas enceinte après 
                        trois ans de mariage. Dans ma famille, ils pensent même 
                        que je suis stérile. Mais, moi, je ne veux pas 
                        d'enfants avant d'avoir de quoi les nourrir et les éduquer. 
                        Et je n'en aurai pas plus de un ou deux. Les enfants aujourd'hui 
                        coûtent cher. Je ne veux pas que les miens soient 
                        dans la rue." |  |  
                 
                  |  
                      Par 
                        ce que la Tunisie a commencé plus tôt, et 
                        que le réseau de centres du planning familial a 
                        joué un rôle important, le stérilet 
                        occupe encore la première place (42%), devant la 
                        stérilisation (21%), tandis que l'avortement - 
                        1 pour 9 naissances - n'est pas rare. C'est, en revanche, 
                        la pilule qui domine très largement en Algérie 
                        (79%) et au Maroc (67%). "Curieusement, souligne 
                        Rachida Benkhelil, directrice de la population au ministère 
                        algérien de la Santé et de la Population, 
                        la pression religieuse de ces dernières années 
                        dans notre pays n'a pas eu d'impact sur la contraception. En 
                        1970, l'argument religieux intervenait dans 10% des cas 
                        de refus d'utilisation des moyens contraceptifs, et il 
                        est aujourd'hui de 5%." Au Maroc, les autorités 
                        mettent depuis quelques années l'accent sur le 
                        développement du planning familial dans les zones 
                        rurales ou dans les bidonvilles, où des campagnes 
                        de sensibilisation sont régulièrement organisées. 
                        "Quatre enfants, c'est déjà trop. On 
                        n'arrive pas à joindre les deux bouts. Alors, ici, 
                        au dispensaire, on me donne de quoi ne pas en avoir d'autres", 
                        dit Ghalia. A 30 ans, cette jeune femme qui vit dans un 
                        bidonville de Salé, près de Rabat, a déjà 
                        quatre enfants de 11 ans à 18 mois. |   
                  
                Ghalia est analphabète. Mais, dans la plupart des cas, 
                le niveau d'instruction est déterminant. "La multiplication 
                des services de planning familial ne suffit pas à garantir 
                la chute de la fécondité dans le mariage: encore 
                faut-il qu'émerge réellement chez les couples le 
                désir de limiter leur descendance. Et cela ne se produit 
                qu'avec le changement économique, social et surtout culturel", 
                soulignent les chercheurs de l'Ined. De plus en plus de femmes 
                de niveau universitaire raisonnent comme Aïcha. Cette jeune 
                Marocaine de 29 ans occupe un emploi de cadre dans une banque 
                et n'est toujours pas mariée. "Il faut savoir trouver 
                un équilibre entre sa carrière et sa vie de famille, 
                dit-elle. Une fois mariée, j'attendrai sans doute un bon 
                moment avant d'avoir des enfants. J'en ai envie, mais je veux 
                aussi pouvoir vivre ma vie de couple." De plus en plus de jeunes femmes choisissent, comme elle, de limiter 
                le nombre de naissances non seulement pour mieux élever 
                leurs enfants, mais aussi au nom d'une exigence, nouvelle, de 
                qualité de vie. Malika a 45 ans. Elle gère à 
                Alger un grand restaurant "qui marche bien". Elle a 
                pourtant choisi de n'avoir que deux enfants, aujourd'hui âgés 
                de 20 et 17 ans. "Si je me suis arrêtée à 
                deux, dit-elle, c'est d'abord pour avoir une certaine qualité 
                de vie. Il fallait leur consacrer beaucoup de temps et d'énergie. 
                J'avais peur, en en ayant d'autres, de ne pas être à 
                la hauteur. Pour leur éducation, certes, mais surtout pour 
                l'affection. Je crois que ma mère était dépassée 
                par ses sept gosses. Je ne voulais pas refaire la même chose 
                et que mes enfants me le reprochent un jour." Sa hantise 
                d'avoir plus de deux enfants l'a même amenée à 
                recourir à trois reprises à l'avortement à 
                la suite d' "accidents" de stérilet. Le mari 
                de Nacera est cadre dans une entreprise publique et gagne bien 
                sa vie. Le couple, pourtant, n'a que trois enfants, une fille 
                de 13 ans et deux garçons de 10 et 6 ans. "Le troisième, 
                dit Nacera, c'était un accident. Je voulais m'arrêter 
                à deux, mon mari aussi. Nous ne voulions pas d'une famille 
                nombreuse. Maintenant, je peux voyager. Chaque été, 
                et parfois même en hiver, je peux partir avec mon mari et 
                mes enfants passer quelques jours à l'étranger. 
                Mais, si j'avais plus d'enfants, le pourrais-je? Je ne pense pas. 
                D'abord, économiquement, ce serait plus difficile, mais 
                pratiquement, aussi, ce serait plus compliqué. Alors c'est 
                bien comme ça." Ouarda, elle, a carrément décidé 
                depuis fort longtemps qu'elle n'aurait qu'un seul enfant. C'est 
                la condition qu'elle a posée à son mari avant leur 
                mariage. Elle se destinait à faire du journalisme, donc, 
                forcément, elle savait qu'elle manquerait de temps. "Trop 
                de déplacements. Et puis, franchement, avoue-t-elle, je 
                n'ai pas la patience d'élever plusieurs enfants."
 
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